PROLOGUE

 

Un tremblement traversa la planète.

Surgi de la mort, le séisme prit la forme d’une vague puissante qui s’enfonça jusqu’au noyau de la planète et rayonna si haut à travers l’atmosphère sirupeuse que les étoiles en tremblèrent. À l’épicentre du séisme se trouvait Sidious, une main élégante serrée sur le rebord poli d’une imposante baie vitrée. Il était un réservoir sur le point de déborder. La Force était si puissante en lui qu’il redoutait de disparaître en elle à tout jamais. Mais ce moment était moins la fin que le véritable début, attendu depuis longtemps. Ce n’était pas une transformation mais une intensification : un changement gravitationnel.

Les pensées de Sidious étaient noyées dans un déferlement de voix, proches et lointaines, présentes et passées. Ces voix s’élevaient pour lui rendre hommage, elles proclamaient son règne et saluaient l’avènement d’un ordre nouveau. Il leva ses yeux jaunes vers le ciel nocturne : les étoiles renvoyaient une lumière tremblotante. Au plus profond de son être, il sentit le pouvoir du Côté Obscur consacrer son avènement.

Lentement, presque à regret, il revint à lui et posa le regard sur ses mains aux ongles impeccables. De retour dans l’instant présent, il nota que sa respiration était rapide. La pièce dans laquelle il se trouvait œuvrait pour retrouver son état habituel. Les purificateurs d’air ronronnaient et les coûteuses tapisseries murales ondulaient dans la brise provoquée par les appareils. Les tapis précieux protégeaient leurs fibres des fluides déversés. Le droïde se déplaçait d’un côté à l’autre, visiblement déconcerté. Sidious pivota pour embrasser du regard le désordre : les meubles anciens renversés, les tableaux et les tapisseries arrachés, comme si la pièce avait été traversée par une tornade. Une statue de Yanjon, l’un des quatre sages législateurs de Dwartii, gisait face contre terre.

C’était un objet que Sidious convoitait en secret.

Plagueis gisait là, aussi ; ses membres sveltes écartés et allongés, la tête tournée sur le côté. Il était vêtu de ses plus beaux atours, comme s’il allait à une soirée.

Il était mort.

Ou pas ?

L’incertitude envahit Sidious et la rage rejaillit dans ses yeux. Avait-il vraiment provoqué ce tremblement ou s’agissait-il d’un avertissement ?

Était-il possible que le Muun rusé l’ait trompé ? Plagueis avait-il découvert le secret de l’immortalité et avait-il survécu ? Le geste aurait été mesquin de la part de quelqu’un d’aussi réfléchi – qui affirmait placer le Grand Plan au-dessus de tout. Plagueis s’était-il retrouvé emprisonné dans la jalousie et la possessivité, victime de sa propre machination, de ses propres manies ?

S’il n’avait été si soucieux de sa sécurité, Sidious aurait pu avoir pitié de lui.

Craignant d’approcher le corps de son ancien Maître, il invoqua la Force pour faire rouler le vieux Muun sur le dos. Vu sous cet angle, Plagueis avait presque la même apparence que le jour où Sidious l’avait rencontré la première fois, des dizaines d’années plus tôt : le crâne lisse et sans cheveux ; le nez bossu, avec une arête aplatie qui semblait avoir reçu un coup de shock-ball et une pointe acérée qui touchait presque sa lèvre supérieure ; la mâchoire inférieure proéminente ; des yeux enfoncés toujours aussi menaçants – ce qui était rare chez un Muun. Mais Plagueis n’avait jamais été un Muun ordinaire, ni même un individu ordinaire.

Sidious l’inspecta avec circonspection, toujours avec l’aide de la Force. En l’examinant plus attentivement, il s’aperçut que la chair déjà cyanosée de Plagueis se détendait, que ses traits se relâchaient.

Sidious avait à peine conscience du bourdonnement des purificateurs d’air et des bruits du monde extérieur qui s’infiltraient dans le luxueux appartement. Il continua à monter la garde puis, soulagé, se redressa complètement et laissa échapper sa respiration. Il ne s’agissait pas d’un tour de Sith. Cette mort n’était pas feinte. Plagueis avait bel et bien succombé à l’étreinte glacée de la mort. L’être qui l’avait guidé vers le pouvoir n’était plus.

Les yeux de Sidious se plissèrent sous l’effet d’un sourire narquois.

Le Muun aurait pu encore vivre cent ans sans changer. Il aurait pu vivre éternellement s’il avait accompli sa quête. Mais au final, même s’il était capable de sauver d’autres de la mort, il n’avait pas réussi à se sauver.

Un sentiment d’accomplissement suprême emplit la poitrine de Sidious et ses pensées s’enclenchèrent.

Ce n’était pas si grave que ça...

Les événements se déroulaient rarement comme on les imaginait, de toute façon. Tout comme la mémoire sélective reconfigurait le passé, les événements futurs étaient des cibles en mouvement. On pouvait agir par instinct, se saisir d’un moment qui semblait intuitivement parfait et se mettre en action. Une fraction de seconde trop tard et l’univers se serait recomposé, aucune volonté ne pourrait plus stopper le cours des événements. On ne pouvait qu’observer et réagir. La surprise était l’élément essentiel qui faisait défaut, le moyen par lequel la Force s’amusait. Cette absence rappelait aux êtres intelligents que certains secrets ne pourraient jamais être découverts.

Convaincu que la volonté du Côté Obscur avait été accomplie, Sidious rejoignit la baie vitrée de l’appartement.

Ils n’étaient que deux êtres dans une galaxie qui en comptait des milliers de milliards. Pourtant, ce qui s’était passé dans cet appartement allait affecter la vie de tous. Déjà la naissance de l’un d’eux avait façonné la galaxie ; elle serait donc refaçonnée par la mort de l’autre. Mais le changement avait-il été ressenti et détecté ailleurs ? Ses ennemis jurés étaient-ils conscients que la Force avait changé irrémédiablement ? Cela suffirait-il à les faire sortir de leur inertie ?

Il espérait que non. Car, maintenant, le travail de vengeance pouvait vraiment commencer.

Sidious chercha des yeux et trouva une constellation ascendante d’étoiles, dont la puissance et les conséquences étaient nouvelles dans le ciel, même si elles s’apprêtaient à disparaître dans les premières lueurs de l’aube. Proche de l’horizon, juste au-dessus des plaines, visible seulement pour ceux qui savaient où et comment regarder, la constellation annonçait un futur audacieux. Pour certains, les étoiles et les planètes semblaient peut-être se mouvoir comme d’habitude, destinées à s’aligner en configurations calculées bien avant leur naissance. Mais, en réalité, le ciel avait été perturbé, secoué par de la matière obscure, qui avait provoqué de nouveaux alignements. Dans sa bouche, Sidious sentit le goût métallique du sang ; dans sa poitrine, il sentit le monstre s’élever, émerger des profondeurs obscures et modifier son aspect pour le transformer en une chose terrifiante, prête à se révéler au monde.

Le Côté Obscur avait fait de lui sa propriété et, maintenant, c’était à lui de s’approprier le Côté Obscur.

Épuisé, non de fatigue mais à cause de l’inspiration soudaine que lui procurait le pouvoir, il lâcha le rebord et laissa le monstre s’agiter dans son corps comme une bête sauvage.

La Force avait-elle déjà été aussi puissante en un être ?

Sidious ignorait toujours quelle fin avait connue le Maître de Plagueis. Plagueis l’avait-il tué ? Avait-il, lui aussi, ressenti une exultation semblable au moment où il devenait l’unique Seigneur Sith ? Est-ce que la bête de la fin des temps s’était élevée pour jeter un œil au monde qu’elle s’apprêtait à habiter, sentant qu’elle allait bientôt être relâchée ?

Il leva les yeux vers l’écliptique. Les réponses se trouvaient là, codées sous forme de lumière, se déplaçant dans le temps et dans l’espace. Du feu liquide courait en lui, des visions de son passé et de son avenir ondulaient dans son esprit. Il s’ouvrit à la galaxie reconfigurée, comme s’il essayait de remonter les décennies...

Star Wars - Dark Plagueis
titlepage.xhtml
Dark Plagueis_v6_final_split_000.htm
Dark Plagueis_v6_final_split_001.htm
Dark Plagueis_v6_final_split_002.htm
Dark Plagueis_v6_final_split_003.htm
Dark Plagueis_v6_final_split_004.htm
Dark Plagueis_v6_final_split_005.htm
Dark Plagueis_v6_final_split_006.htm
Dark Plagueis_v6_final_split_007.htm
Dark Plagueis_v6_final_split_008.htm
Dark Plagueis_v6_final_split_009.htm
Dark Plagueis_v6_final_split_010.htm
Dark Plagueis_v6_final_split_011.htm
Dark Plagueis_v6_final_split_012.htm
Dark Plagueis_v6_final_split_013.htm
Dark Plagueis_v6_final_split_014.htm
Dark Plagueis_v6_final_split_015.htm
Dark Plagueis_v6_final_split_016.htm
Dark Plagueis_v6_final_split_017.htm
Dark Plagueis_v6_final_split_018.htm
Dark Plagueis_v6_final_split_019.htm
Dark Plagueis_v6_final_split_020.htm
Dark Plagueis_v6_final_split_021.htm
Dark Plagueis_v6_final_split_022.htm
Dark Plagueis_v6_final_split_023.htm
Dark Plagueis_v6_final_split_024.htm
Dark Plagueis_v6_final_split_025.htm
Dark Plagueis_v6_final_split_026.htm
Dark Plagueis_v6_final_split_027.htm
Dark Plagueis_v6_final_split_028.htm
Dark Plagueis_v6_final_split_029.htm
Dark Plagueis_v6_final_split_030.htm
Dark Plagueis_v6_final_split_031.htm
Dark Plagueis_v6_final_split_032.htm
Dark Plagueis_v6_final_split_033.htm
Dark Plagueis_v6_final_split_034.htm
Dark Plagueis_v6_final_split_035.htm
Dark Plagueis_v6_final_split_036.htm
Dark Plagueis_v6_final_split_037.htm
Dark Plagueis_v6_final_split_038.htm
Dark Plagueis_v6_final_split_039.htm
Dark Plagueis_v6_final_split_040.htm